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cherche dans le génie décomposé de La Fontaine, la meilleure à mes yeux et la plus étonnante, celle qui le fait le mieux ce phénix de La Fontaine, celle qui complète le mieux toutes ses puissances par un charme vainqueur de tout, c’est la bonhomie, c’est cet accent de bonhomie qui se mêle à tous les détails de son œuvre, — et je n’entends pas ici que les Fables, mais les Contes ! mais toutes ses compositions poétiques ! mais les vers les plus échappés à sa veine, les plus tracés à la légère ! et même jusqu’à son épitaphe ! Infusée partout et dans tout, cette bonhomie devient créatrice. Comme il a gauloisé la grâce ionienne d’Anacréon, La Fontaine a bonhomisé les Dieux de la Grèce. Il les a faits à son image, et on a ri de son bonhomme de Jupiter. Quand il est parlé du ciel dans ses ouvrages, La Fontaine n’est ni païen, ni chrétien, ni religieux, ni impie ; il est là ce qu’il fut partout : le bonhomme, qui ne pouvait pas pécher tant il était bonhomme, et qui, pécherait-il, disait sa servante, serait pardonné !

Et je le répète : là, il fut comme partout ; car, chose particulière encore à La Fontaine, il ne fut pas « Le Bonhomme » que dans ses œuvres, il le fut à tous les moments de sa vie, de même que Louis XIY était « Le Roi », même en renouant ses aiguillettes. Comme jamais poète ne vécut plus que lui dans son rêve, au milieu du monde il était distrait et on se le montrait en souriant… Mais quand il tombait de son rêve, — et