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le parfum. En vain, les femmes, ces flatteuses nées de tous les poètes, ont-elles appelé Alfred de Vigny le printemps éternel en voyant ses cheveux si longtemps d’un blond invincible, le poète d’Éloa n’a pas plus impunément vieilli que nous tous. Si vieillir est changer, il a vieilli, mais sa vieillesse est une métamorphose. Au soufûe de l’hiver, phénomène singulier ! de rudes plumes d’aigle, grises et fauves, ont poussé dans le plumage nacré du cygne éblouissant, et son dernier chant devait avoir une fierté que ne connaissent pas les cygnes.

Il n’a pas chanté la jeunesse perdue que chantent tant de poètes au déclin, vieux Titons amoureux d’Aurores ; cette jeunesse que Chateaubriand voulut inutilement retenir avec les bras du désespoir. Lui, qu’on pouvait croire faible parce qu’il était doux, n’a point eu cette faiblesse, et ses derniers poèmes, à cet homme tendre, fils de Virgile et de Racine, qui avait inventé des anges qui tombaient du ciel par pitié, ne sont ni des plaintes, ni des pleurs. Non pas même les larmes des choses ! Les Destinées portent pour épigraphe la devise turque : C’était écrit ! tracée de la main qui nous a donné Êloa. Il est vrai que, crispée par un scepticisme tardif, cette main n’a pu s’essuyer entièrement de ce Christianisme dans lequel elle a été si longtemps plongée :

Notre mot éternel est-il : C’était écrit ?