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III

C’est là, en effet, — chose étrange ! —ce que le poète et l’homme, toujours un dans Alfred de Vigny, sont devenus en ses dernières années. Quoiqu’il fûtincommutable de génie, il perdit de son inspiration première. Dans ses poèmes d’il y a trente-quatre ans, qui lui avaient fait tout de suite cette renommée sans tache qui s’étendit devant son avenir comme un moelleux tapis d’hermine, il avait imaginé ce genre de poésie qu’un vers de lui a si bien caractérisé :

L’enthousiasme pur dans une voix suave I

Aussi heureux en prose qu’en vers, il était allé jusqu’à l’éclat, dans Stello, et dans Grandeur et Servitude militaires, jusqu’à l’attendrissement sublime. Or, tout cela a cessé d’être. Le style du poète reste toujours aussi mélodieux de pureté que jamais, mais c’est moins la forme du poète qui est changée que son fond même… Cette coupe d’ivoire, incrustée d’argent, que j’ai tant admirée, je la vois bien encore ici, mais elle ne renferme ni les saveurs ni les senteurs d’autrefois. Le temps y a séché le breuvage et en a emporté