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J’ai eu l’honneur de connaître le poète A’Éloa et de Moïse, et je dois dire que jamais je n’ai pu oublier un moment, quand je l’ai rencontré, que j’avais affaire à la plus suave poésie des temps modernes. LordByron, qu’on ne m’accusera pas de diminuer, car je l’aime trop peut-être ! lord Byron n’était qu’un dandy quand il jetait dans son écritoire la plume sublime avec laquelle il avait écrit le Giaour. Mais Alfred de Vigny restait le poète A’Eloa sans sa plume. Saint-Simon a prétendu que Fénelon était une coquette même avec son valet de chambre. Alfred de Vigny devait être un poète encore, avec le sien. Absolument comme mademoiselle Mars, ce timbre de cristal dans du velours, qui aurait fait, si elle les avait prononcés, des jurons d’un cocher de fiacre une céleste musique, Alfred de Vigny relevait par le langage les choses les plus vulgaires. Il parlait de tout comme il aurait chanté, et il agissait comme il parlait, poésie plus rare ! Je le trouve tout entier dans ce trait : Il avait, je ne sais où, une forêt, le seul débris qui lui restât d’une grande fortune aristocratique, et les coupes annuelles de cette forêt auraient pu être pour lui un revenu considérable. Mais il aima mieux toute sa vie se priver de ce revenu, que de toucher à une seule des branches de ce bois sacré, le luxe d’un poète ! Certes ! la pièce de vers qui roucoule dans toutes les mémoires :

Oh ! que le son du cor est triste au fond des bois