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pose, convention bête de vanités qui s’entendent comme larrons en foire, grosse manière de se faire valoir, était dédaigné par cet homme d’une distinction suprême et calme, à qui les tambourinades des gloires contemporaines avaient fait aimer le silence ; qui a vécu comme il a pensé, et qui n’avait pas deux manières d’être, comme tant de poètes, grands dans leurs vers, petits dans leur vie !

Car c’est là surtout ce que nous sommes tenus à dire, nous qui n’avons pas charge de notice officielle sur le comte Alfred de Vigny et ses œuvres. Le comte de Vigny, — que nous pouvons appeler maintenantsimplement : Alfred de Vigny, puisqu’il n’est plus qu’un grand nom littéraire de la France du xixe siècle et que l’Immortalité ne dit : monsieur à personne, —le comte de Vigny a cela de rare et de merveilleux, qui fermera la bouche aux Ames communes toujours prêtes à jeter la pierre aux poètes, qu’on ne peut trouver une contradiction dans sa vie, et que ce qu’il fut comme poète, il le fut également comme homme. C’est là, je l’avoue, ce qui me charme encore plus que son génie dans Alfred de Vigny. Il ôte aux êtres bas d’esprit, dont le monde est plein, cette joie de pouvoir dire que la vie des poètes les plus éclatants n’est que leur poésie à la renverse, et qu’avec leurs ailes, — leurs ailes de Chimères ! — qu’ils n’ouvrent que dans leurs strophes menteuses, ils se mettent très bien au ventre de la même boue que tout le monde.