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visions immatérielles et intangibles qu’il met derrière toutes les choses de la vie. Ni Baudelaire, ni Poe, n’ont souffert plus continûment de ce vague mystérieux qui, tout vague qu’il soit, oppresse l’âme comme l’objet le plus lourd et le plus physique, et auquel le visionnaire préféreraitlavuenette et positive de l’enfer. Ce vague qui est l’angoisse éternelle de Rollinat, l’angoisse de ne pas savoir ce qu’il y a partout, dans les choses et derrière les choses, et d’avoir peur de ce qu’il pourrait y avoir, Rollinat l’a même avec les choses qu’il aime le plus. Il l’a avec la nature, qu’il adore ! Il l’a avec la femme qu’il vient de presser sur son cœur 1 Ce visionnaire, qui n’est pas mystique comme Pascal, que le vague de tout précipita dans des dogmes incompréhensibles, mais du moins précis, est moins religieux que le satanique Baudelaire lui-même, et par là il en diffère encore. Baudelaire, au fond de son âme révoltée et païenne, avait quelque chose d’indestructiblement chrétien. Le nom de Dieu invoqué à toute page dans ses poésies l’atteste, etses blasphèmes prouvent la profondeur de sa foi. Rollinat, au contraire, chose prodigieuse ! dans ses trois volumes, dont le second est énorme, n’a pas une seule fois écrit le nom de Dieu, même par distraction… L’auteur des Névroses est un Pascal sans Dieu, qui ne l’a jamais vu qu’une fois dans le fond de son gouffre, quand il pousse la clameur inconséquente de son De profundis qui clôt le livre. Il a tué Dieu au profit du