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Il j oue ses vers, il les dit et il les articule aussi bien qu’il les chante. Et même est-ce bien qu’il faut dire ?… Ne serait-ce pas plutôt étrangement ? Mais l’étrange n’a-t-il pas aussi sa beauté ! Et, chez Maurice Rollinat, cette étrange beauté est saisissante et pénètre jusqu’au fond de l’âme ceux qui en ont. Quel dommage qu’il ne puisse pas se mettre tout entier sous la couverture de son livre ! Il serait acheté à des milliers d’exemplaires. Il recommencerait le succès de Thomas Moore, au commencement du siècle, quand il chantait dans les salons de Londres ses touchantes Mélodies Irlandaises. Seulement, ce ne serait pas un poète rose comme Little Moore, qui chantait l’amour et ses beautés visibles ; c’est, lui, un poète noir, qui chante ses épouvantes de l’Invisible et qui nous les fait partager…

Ce jeune homme, sombre commeManfred et comme la nuit dont son cœur est l’image, s’appelle Maurice Rollinat. Guérin aussi s’appelait Maurice. Sera-t-il plus heureux que Guérin, qui n’a pas vu sa gloire ?… L’enthousiasme a ses prophètes ; les ensorcelés qui l’ont entendu disent hautement, en parlant de lui : « Vous savez la nouvelle ? Baudelaire est ressucité, et un second volume des Fleurs du Mal sort avec lui de son tombeau. » Eh bien, c’est une erreur ! Rollinat n’a pas à mettre son blason « en Abîme » sur celui de Baudelaire. Il n’a pas cette identité absolue avec le grand poète d’hier, qui a, pour sa gloire, le bonheur d’être mort et dont il est fanatique. Maurice Rollinat, qui l’a