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eux, sont montés jusque dans la Poésie ! Ce n’est pas une flatterie, c’est une réalité… Lui, il comprend la poésie autrement qu’un ouvrage et le poète qu’un bon ouvrier. Il met au-dessus de tout le sentiment et la pensée, —dons de Dieu ! choses de naissance ! —et il croit aux privilèges de leurs douleurs. Lisez ces vers à Léon Cladel dans lesquels il les a proclamés, ces privilèges immortels que nous ne déposerons pas, nous, sur l’autel de la Démocratie, et que la Démocratie veut nous enlever, comme elle nous a enlevé les autres, pour en blasonner tous les va-nu-pieds et tous les couchetout-nuds du monde moderne et les élever au-dessus de nous, — au-dessus de tout ce qui est esprit et génie, — sur le pavois de la pitié ! Je ne puis m’empêcher de les citer, ces vers qui nous vengent et qui refont, en quelques traits puissants, l’éternelle hiérarchie bouleversée :

— Eh bien, non ! — Tous ceux-là ne sont pas malheureux.

Leur pensée éveillée a-t-elle en sa tristesse

Devancé chaque coup qui les frappe et les blesse ?

Ils travaillent pour nous, mais nous sentons pour îux.

Toute l’humanité n’est qu’un seul être immense

Dont nous sommes le cœur, comme il en sont les bras,

Et nous savons leurs maux, mais ils ne savent pas

Le labeur idéal qui toujours recommence.

Proclamons-le ! — Les deuils se mesurent aux cœurs :

Notre raffinement fait seul une souffrance

Plus pitoyable, plus aiguë et plus intense

Que l’effort incessant des plus durs travailleurs.