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Peut-être vous cachez sous votre pur sourire

Des pleurs que j’essuirai des lèvres quelque jour…

mêle à tous les sentiments qu’il exprime ce scepticisme qui ne va à Dieu, dont on doute, que pour retomber à la créature dont on va douter ; car le scepticisme est la plus cruelle des anxiétés de la vie, c’est la plus formidable inquiétude, pour une âme ardente, qui puisse dévorer l’esprit et le cœur ! Seulement, —au lieu de lui en faire un reproche, à ce poète d’un temps meilleur dans ce temps mauvais, je lui en fais une gloire, — c’est cette inquiétude que l’auteur de la Vie inquiète a retrouvée.

Le temps actuel, bestialisé par l’indifférence et le matérialisme, ne la connaissait plus. Il nous a rappelé cette torture sublime… Il ne l’aurait pas eue que sa Vie inquiète n’aurait plus été la Vie inquiète, au même degré du moins, et que sa poésie aurait manqué de ce qui touche le plus en elle :

Heureux l’homme qui, jeune et le cœur plein de songes

Meurt sans avoir douté de son cher Idéal,

A l’âge où les deux mains n’ayant pas fait de mal

Nos remords les plus vrais sont de pieux mensonges.

Heureux encor celui pour qui tu te prolonges,

O sainte Illusion du rêve baptismal,

Et qui, sous l’humble abri de son clocher natal,

Vit et meurt dans la douce extase où tu le plonges.

Mais combien malheureux celui qui, comme moi,

Brise à moitié le joug et guérit de la foi

Sans guérir du besoin généreux du martyre !