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est une élégie de tant de douleur qu’elle ferait saigner le papier sur lequel j’écris, si je vous la citais. Lisez-la ! On ne peut pas citer les poètes comme Saint-Maur ; on aurait trop à citer et un chapitre n’y suffirait pas. II faudrait l’espace d’une Revue pour donner une idée de cette variété infinie. Oui ! lisez toutle Dernier Chant, si vous êtes digne de boire à cette coupe d’Hercule de poésie, de cette poésie filtrée, épurée, gardée tant d’années en bouteille par le poète, et devenue ainsi plus savoureuse, comme le vin, ce fils du soleil et du temps ! Les poètes sont rarement populaires. Ils échappent à la popularité, cette applaudisseuse d’en bas, par la hauteur de leur pensée. Mais je crois bien que s’il est un poète qui puisse devenir populaire, c’est Saint-Maur, malgré la hauteur de la sienne, et par la raison que sa poésie, avec son accent profondément humain et sensible, est au niveau de tous les cœurs. C’est ce niveau-là qui pouvait faire son succès. Le poète du Dernier Chant a dit, avec un tour triste et gai en même temps, et qui n’est qu’à lui :

Quand elle veut, la femme est bien forte, — elle oublie !

Eh bien, non ! ici, les femmes ne voudront pas l’oublier. Elles n’oublieront pas la manière dont il a chanté en pleurant sa fille morte, et c’est elles qui commenceront sa gloire. Un jour, son compatriote Hégésippe écrivit la délicieuse romance dont le