Page:Barbey d’Aurevilly - Les Poètes, 1889.djvu/261

Cette page n’a pas encore été corrigée

III

Et c’est là un bonheur aussi pour cette Raison en ruines et quelquefois déshonorée, que la Poésie ait la vie plus dure qu’elle et subsiste quand la Raison n’est plus. Oui ! quand elle n’est plus, cette noble Raison, dans sa vérité incommutable, qu’une victime égorgée et souillée par les passions et par les sophismes, c’est un bonheur pour elle que la Poésie s’accroche à ce qui en reste et la pare de ce qu’elle a, elle ! de pur, d’idéal et d’immortel. Tenez ! qui lirait, à cette heure, le poète des Réveils, s’il n’y avait que ses idées dans ses vers et si la forme qu’il leur donne ne les faisait pas souvent oublier ?… Dans un des plus longs poèmes du recueil de Laurent Pichat, intitulé : SaintMarc (le Saint-Marc de Venise), où se trouve, plus que partout ailleurs, cette idée qui, au fond, est la seule du livre : c’est que le monde entier, l’Antiquité, le Christianisme, le Moyen Age, toutes les religions, toute l’Histoire enfin, jusqu’à ce moment, ne sont plus qu’une pincée de poussière, un songe évanoui, évaporé, perdu, et qu’il n’en subsiste ni un sentiment, ni une croyance, ni une vérité, tandis que le xixe siècle