Page:Barbey d’Aurevilly - Les Poètes, 1889.djvu/259

Cette page n’a pas encore été corrigée

a l’urne ardente ; car si les choses étaient ce que Pichat, cet Aruspice de l’avenir, dit qu’elles sont maintenant ou qu’elles vont être, toute poésie en mourrait du coup, et Pichat, cessant d’être poète, ne serait plus que le plus vulgaire des rêveurs.

Et nous connaissons son rêve ! C’est le rêve, plat et borné, qui traduit exactement l’état actuel de la cervelle humaine. Ce n’est pas même un rêve : c’est la réalité de ces temps misérablement avilis ; c’est le rationalisme de la bête ratiocinante, et qui, toutes ses autres facultés éteintes, ne veut plus que ratiociner. C’est l’athéisme de cette époque athée, l’athéisme heureux et fier comme un parvenu, faisant bedaine dans un Prudhomme cubique de Suffrage universel ! C’est la foi niaise à une science qui n’est pas encore, mais qui se fait, — le têtard de la sublime grenouille future, — foi badaude de bedeau scientifique, plus crédule, à lui seul, que tous nos bedeaux catholiques, à nous ! C’est enfin la religion de l’homme-Dieu moderne, qui n’est plus Notre-Seigneur Jésus-Christ, mais Laurent Pichat et tous les Pichat dela terre ; car, dans ce système, tout homme est égal à Pichat comme X est égale à X. Tel est le rêve de ce poète chez qui l’imbécille Démocratie atout dévoré… excepté, pourtant, une petite fleur de Poésie qui a résisté à sa dent par la raison qu’elle est immortelle, et qui a fleuri moqueusement jusque sous les mandibules de cet âne affamé qui veut tout broyer dans ses lourdes mâchoires.