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rivières du sang de la France qui coulait. Ces poésies, ces noires poésies de circonstance, appelées des Idylles par le poète avec une atroce ironie, écrites, comme il le rappelle : « au jour le jour du siège, quand les obus « prussiens éventraient nos maisons », sont moins des hymnes qui entraînent en avant que des élégies désespérées, poinçonnant dans le cœur qu’elles déchirent des impressions qui ne doivent plus jamais s’en effacer… Memoranda terribles (seront-ils féconds ? ), et pour nous, les écrasés, et pour ceux qui nous écrasèrent ! Oui ! c’est de la poésie d’écrasés, que ces Idylles mœlibéennes qui rendent un si effroyable hommage de reconnaissance au Dieu qui nous fit ces loisirs. L’accent du poète, de celui qui fut le doux, le bon, le gai et le pompeux Banville, y est-il assez violent et assez sombre ? Est-il d’une cruauté assez implacable ? La vue du sang versé lui a tourné le sien. Quelle profondeur tout à coup dans cet Éclatant ! Quelle férocité dans cet Arcliiloque de la guerre, qui ne mord pas seulement le pied de l’homme qui l’a abattu, mais qui mord même le sabot de son cheval !… Écoutez

Il est bien las, le vieux cheval !

Après les fêtes sans pareilles

De son féroce carnaval,

Il a du sang jusqu’aux oreilles.

A présent que ses durs sabots

Ont piétiné dans la tuerie

Et qu’il s’est soûlé de tombeaux

Il lui faudrait son écurie.