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IV

Or, voilà Ronsard tout entier, et peut-être la seule explication qu’on puisse donner de sa destinée. Poétiquement, il domina tout son siècle, qui ne parlait pas une langue plus avancée que la sienne. Mais cette langue, qui marchait toujours, le laissa assis et isolé dans sa gloire, sur son socle de marbre froid et sous son laurier incompris. La langue, grandie et devenue forte comme les petits de la lice, se retourna férocement contre sa poésie et lui prit sa place au soleil, jusqu’au moment impatienté, que j’ai signalé au commencement de ce chapitre, où le poète, malgré la langue qu’il avait parlée, à force de Poésie, ressuscita ! —Le poète, dans Ronsard, avait-il, en ses derniers jours, désespéré de lui-même ? Il avait vieilli, cet Achille, ce jeune homme immortel ! Il était devenu sourd, comme depuis nous avons vu sourd Beethoven. Il avait vu, comme Byron, les cheveux blancs pleuvoir de bonne heure sur sa tête, et stupide, comme Byron, sur ses œuvres, il les avait impitoyablement mutilées dans d’infanticides éditions. Mais Prosper Blanchemain, avec la sienne, le protège contre lui-même.