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femme qui est si souvent une tête perdue, les injustices de la Critique, parfois aussi tête perdue que la Renommée, y sont signalées avec un discernement supérieur. M. Jules Levallois, qui aurait dû, pour rester dans la mesure, appeler son ouvrage : Corneille méconnu, a tiré de l’oubli les tragédies qui y sont trop tombées : Attila, Théodore, Médée, Œdipe et tant d’autres, et il a prouvé, par le raisonnement et par les plus intéressantes citations, que l’auteur du Cid, de Polyeucte et des Boraces, n’avait pas versé tout son génie dans ces chefs-d’œuvre, dont on s’est servi pour borner et étouffer sa gloire, tout en la proclamant. Comme on lie une pierre au cou d’un chien pour mieux le noyer, on avait lié ses chefs-d’œuvre au cou de Corneille pour mieux faire enfoncer dans l’oubli ce qui lui restait de génie, mais M. Levallois a coupé cette corde, et le génie a été sauvé et il a reparu dans son livre. Toute cette partie de son ouvrage est irréprochable. Quant à la vie de Corneille, à la vie en dehors des œuvres, il l’a éclairée autant qu’il a pu. Mais où il l’a le mieux vue, c’est là où elle est le plus dans des hommes d’autant de sentiment et de pensée que Corneille, c’est-à-dire dans ses écrits. La vie de Corneille n’est guères pour nous qu’un clair-obscur, — une espèce de tableau de Rembrandt au fond duquel, comme l’alchimiste qui fait de l’or, Corneille travaille à ses chefs-d’œuvre. En vain M. Levallois essaie-t-il d’y allumer la paillette de feu qui l’éclaire, cette vie restera