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chaque, de l’Hymne Triomphal sur le trépas de la Reine de Navarre, et de l’Eglogue au duc de Lorraine où se trouvent des coups de pinceau comme ceux-ci :

Achille était ainsi que toi formé.

Dedans tes yeux sont Vénus et Bellone ;

Tu semblés Mars quand tu es tout armé,

Et désarmé, une belle amazone !

fait involontairement penser aux grandes compositions de Rubens. Évidemment, c’est là un génie consanguin. Ronsard n’est nullement un poète concentré, comme, par exemple, le fut Dante. Il n’aurait jamais su enfermer, comme Dante, tout un monde dans un seul mot, dans la facette de bague d’une épithète, reluisant, comme un grenatsombre, àla fin d’un vers… Ronsard, au contraire, est un diffus et un bouillonnant de lumière, répandant autour de lui le son et la peinture : spargens sonum et picturam, et c’est par là, c’est par ce genre de génie et par l’abus de ce génie, qu’il règne encore sur nous, sur l’imagination débordée, décadente et désespérée d’une époque qui a lâché tous les freins et toutes les ceintures. Ronsard est le poète de l’accumulation et du nombre, du nombre infini. Il y a dans ses Odes une ode à une simple fontaine, qui est bien tout ce qu’a pu écrire de plus surprenant un poète doué du génie du nombre. Poète-phénomène que ce Ronsard, dont la poésie jaillit avant que la langue, qui se