Page:Barbey d’Aurevilly - Les Poètes, 1889.djvu/220

Cette page n’a pas encore été corrigée

supérieurs, qui, plus tard, sont obligés de faire la table rase de Descartes, — l’éducation prodigieusement forte de Milton fut un des premiers boulets de plomb qu’on mit sur l’aile de son génie. On en fit un pédant monstrueux. On lui apprit huit langues et toutes les sciences du temps, même l’astronomie. On le bourra d’hébreu, de syriaque et de chaldéen. On l’éleva enfin comme un petit Saumaise, et du pédant, on fit bientôt un puritain ! Ainsi, ce n’était pas assez que le pédantisme de la science : on y superposa le pédantisme de la sainteté anglaise, — une horrible sainteté, qui n’a rien ni de saint François de Sales, ni de Pénelon. Milton, ce beau jeune homme qui ensorcelait les femmes, même quand il dormait ; Milton, cet Endymion de la poésie anglaise, auprès de qui une inconnue qui passait quand il dormait sur un gazon laissa les fameux vers :

Occhi, stelle mortali,

Si chiusi m’uccidite,

Aperti, ehe /’arête (1) ?

rasa ses magnifiques cheveux bouclés et devint une Tête-Ronde, un théologien argumentant, une bouteille d’encre ! — Pédant deux fois, ce n’était pas assez ; il le fut trois. Il devint pédagogue. Il tint une école et même il aima ce métier, qu’il garda la plus grande

1. Yeux, étoiles mortelles, si fermés vous me tuez, ouverts, que ferez-vous ?