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— le sublime du mal, il est vrai. L’auteur des Blasphèmes que voici est bien venu à son heure, et son heure doit en être fière ! Le siècle de Shopenhauer et du Nihilisme a enfin trouvé son poète. Jusqu’ici, il ne l’avait pas. Avant ce livre des Blasphèmes, il n’avait que madame Ackermann et ses Poésies philosophiques, madame Ackermann que j’eus l’insolence, un jour, de traiter de monstre (il devait y avoir mieux ! ) pour résolument avoir nié Dieu dans des vers incroyablement beaux pour une femme, tant il s’y montrait de mâle vigueur. Mais la poésie de madame Ackermann n’était, malgré la fermeté de son marbre, que la balbutie de la poésie qui allait venir. J’avais avancé l’heure du monstre ! L’homme allait parler… La femme, qui se retrouve toujours quand elle veut le plus cesser d’être, se retrouvait dans les vers inouïs de madame Ackermann. Les larmes immortelles de la Pitié, chez cette Révoltée généreuse des douleurs du monde, n’ont jamais séché sur son athéisme attendri… Il fallait au siècle un athéisme plus furieux et plus implacable. L’auteur des Blasphèmes l’apportait. S’il n’avait été qu’un blasphémateur d’un talent médiocre, on n’aurait vu en lui qu’un Trissotin de plus contre Dieu. Il y en a tant ! Mais avec le talent qu’il possède il ne devait faire hausser les épaules à personne, même à ceux qui respectent le plus tout ce qu’il outrage. Le Trissotin était monté jusqu’au Satan, et l’ensorcellement