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beauté et la portée de sa voix ?… Voilà la question ! Ce livre, dont tout le monde est plus ou moins coupable, tout le monde ne pourrait pas l’écrire, et M. Richepin l’a pu… et comme personne que lui peut-être ne le pouvait. Quant à moi, je me tiendrai à quatre pour être juste en parlant de ce livre, qui, parle bruit qu’il fait, force à parler ceux qui voudraient se taire. Alors que la morale religieuse n’est plus, quand la pauvre littérature, qui mourra aussi, un de ces jours, de son immoralité, existe encore, il n’y a plus que la question esthétique à poser devant un livre comme celui des Blasphèmes ; il n’y a plus qu’à savoir si nous avons, malgré l’horreur de son livre, un poète de plus dans M. Richepin.

Eh bien, je dis sans sourciller — et qui qu’en grogne ! — que nous l’avons. Quelles que soient les taches de ce livre, qui a ses taches, comme le soleil, je dis qu’il n’en est pas moins la production d’un génie poétique qui, dans le poète, peut un de ces soirs s’éclipser ou disparaître, mais qui, dans ce livre-là, a immobilisé un rayon qu’on n’éteindra pas. Je dis que la Critique — la Critique littéraire, bien entendu, et non la Critique morale, qui n’a que faire ici, — peut prendre ce livre et l’écailler comme on écaille un poisson, et le racler du fil de son couteau et en retrancher, couche par couche, tout ce qui déshonore littérairement une telle œuvre, c’est-à-dire le gongorisme effréné, l’atroce mauvais goût, les bassesses