Page:Barbey d’Aurevilly - Les Poètes, 1889.djvu/20

Cette page n’a pas encore été corrigée

pas eu avant Ronsard. Ronsard est l’Adam de la poésie française, et, comme Adam, il est né homme, armé de toutes ses facultés ! Aussi, le caractère suprême de Ronsard est-il justement le caractère que nous ne pouvons pas ne point supposer au premier homme. C’est la grandeur. Il y a plus profond que Ronsard, sans doute, dans les littératures humaines, mais il n’y a pas plus grand que Ronsard.

Il le fut de toutes les manières. Il le fut également dans son génie et dans sa vie. Il était né grand seigneur comme il était né grand poète, — par le même hasard, diraient les sots. Il avait vécu de la grande existence de la haute société de son temps, et il s’en était blasé vite, comme les grandes imaginations qui dominent tout et qui finissent par être de grandes dégoûtées. Un jour, on l’avait vu la familiarité des Princes, et un autre jour l’amitié de Charles IX, qui lui adressa des vers ronsardiens, tant ils étaient beaux ! de Charles IX, cette singulière et royale fleur de poésie, fécondée peut-être par l’intimité de Ronsard, et qui, plus tard, mourut écrasée dans du sang… Ronsard semble avoir été fait avec tous les genres de grandeurs : naissance, vie, relations, facultés, sentiments et œuvres. Il est grand encore quand ordinairement on cesse de l’être : il est grand même quand il est gracieux ; car il a la grâce de la force, — la grâce des" lions, lorsque les lions sont amoureux. Ce poète, ce grand seigneur, cet homme de cour, qui n’aimajamais