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du rire à outrance, qui aurait eu tout, s’il avait eu du cœur ! Le poète de la Chanson des Gueux ne les peint pas que de par dehors, pour le seul plaisir de faire du pittoresque. Malgré l’osé, le cru, et même le cynique, à quelques-endroits, de sa peinture, ce n’est nullement un réaliste de nos jours. Il est mieux que cela. Il a l’âme ouverte à tous les sentiments de la vie, et il les mêle — et fougueusement ! — à ses peintures. Il sait s’incarner dans les gueux qu’il peint. Mais il n’a pas, malheureusement, il faut bien le dire, le seul sentiment qui l’aurait mis au-dessus de ses peintures, le sentiment qui lui aurait fait rencontrer cette originalité que Villon, Rabelais et Régnier ne pouvaient pas lui donner. Il n’a pas le sentiment chrétien.

C’est, en effet, dans la profondeur du sentiment chrétien qu’était l’originalité qu’il n’a pas. Depuis que le monde est monde, le Christianisme seul a compris les pauvres et les a bien vus. Seul, ce rayon de Dieu leur tombant sur la tête, plus chaud et plus magnifique que le soleil de Murillo, a éclairé les gueux et les a idéalisés. La religion de l’adorable saint François d’Assise, qui se fit gueux d’une autre façon que M. Richepin, lequel se vante un peu trop d’en être un ; la religion du très moqué, du très peu compris mais du très grand Bienheureux Labre, qui fut un mendiant comme M. Richepin ne le sera probablement jamais, est très nécessaire au poète des Pauvres s’il veut creuser dans leurs abjections et leurs vices,