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M. Jean Richepin n’est pas voué à l’éternel refrain de sa Chanson des Gueux. Il n’est pas si Gueux que cela… Il ne fera pas toute sa vie le Villon, comme Chatterton fit le Rowley. Le système, l’exagération volontaire, l’archaïsme, l’imitation, fatale pour les plus forts quand ils ont ce charmant défaut de la jeunesse, mère de tant de sottises, toutes ces choses qui contaminent ça et là l’œuvre actuelle, doivent, par le fait de la santé et de la vigueur de son esprit, mourir prochainement en M. Richepin et disparaître de ses œuvres. Il est certainement assez fort pour prétendre un jour à l’originalité et pour chanter dans le strict et pur registre de sa voix. Il n’est pas fait pour n’être qu’un poète comme Paul-Louis Courier fut un prosateur. Il a, lui, ce que n’avait pas le sec et retors Courier, homme de verbe et de formules : il a le feu, la verve, les entrailles, l’abondance, une touche large et grasse, et même quelquefois grandiose. On sent, sous l’imitation, une nature, — et il faut le lui rappeler aujourd’hui, car M. Richepin est à sa mauvaise heure. Le cœur de l’homme est ainsi pétri que toute condamnation l’exalte et fait lever dans son âme le génie aveugle et violent de la contradiction, qui dort en nous et qui est si promptement debout !… On persiste, alors, dans ce qu’on a fait, et on le recommence en l’aggravant. Le talent tourne sur lui-même au lieu de s’élever audessus de lui-même, et c’est ce que je voudrais empêcher.