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temporain ! Ronsardistes de la queue et de la dernière heure, qui n’ont gardé de l’influence première et créatrice qu’un matérialisme puéril ou morbide dans la forme, et dans le fond qu’un misérable paganisme sans sincérité.

Car j’ai dit que j’y reviendrais, et voici précisément la place et le moment d’y revenir. Malgré des facultés assez puissantes pour rester, même en tombant sous le coup des influences extérieures, de la plus grandiose originalité, Ronsard, il faut bien l’avouer, ne se conserva pas incorruptible. Ilfut païen commeson époque. Il partagea l’ivresse d’un temps qui avait goûté et qui but à longs traits à la double source des littératures retrouvées et des mythologies de l’Antiquité, et littérairement, oui ! même littérairement, ce fut pour Ronsard et pour nous un malheur dont il est impossible de mesurer bien exactement l’étendue… Demandons-nous ce qu’il aurait été, ce génie robuste et organisé pour rester lui-même, s’il n’avait pas été païen ? Et, de fait, la Bacchante superbe qui fut souvent sa Muse, ne fut pourtant pas toute sa Muse. Elle ne fut pas toujours grecque ou romaine, fille d’une civilisation artificielle, c’est-à-dire refaite à force d’Art. Elle était mieux que cela. Elle était même mieux que celtique, quoiqu’elle le fût, mieux qu’autochtone, mieux que la respiration, dans l’air ambiant, de toute une race. C’était, avant tout, la respiration d’un seul homme, mais d’un seul homme qui était cette force qu’on