Page:Barbey d’Aurevilly - Les Poètes, 1889.djvu/164

Cette page n’a pas encore été corrigée

pas un Lamartine qui fût plus ou moins Lamartine ; un Lamartine d’en deçà ou de par delà. Il y a Lamartine, et partout où il est et où il se porte, c’est Lamartine tout entier. On ne peut le séparer de son génie, et quand il a voulu s’en séparer lui-même, quand il a voulu greffer sur le Lamartine poète le Lamartine politique et ajouter cette autre gloire inférieure à la gloire supérieure qu’il avait, son inséparable génie le suivit pour le punir de cette ingratitude envers son génie, et c’est son génie qui a frappé son génie et qui l’a vengé. Il n’y a pas eu de Lamartine en petits morceaux ; — il n’y a donc pas eu de Lamartine politique, de Lamartine des affaires, de Lamartine des salons. Il y a eu cette unité splendide qui est Lamartine ! Il était plus un et plus indivisible que la République à laquelle il crut quelques jours. D’autres poètes, d’autres écrivains, d’autres hommes de génie n’ont eu que leurs heures de génie. Lamartine avait les siennes pendant tout le tour du cadran. A l’émeute, entre Lamoricière et Changarnier, il était Lamartine, comme il l’était en veste grise et en pantoufles jaunes, le soir, dans son salon, où toute l’Europe venait encore lorsque la France républicaine, aux reins flexibles, redevenue le second Empire, n’y venait plus. Son génie n’abdiquait jamais, à ce poète qui était orateur comme il était poète, et pour les mêmes raisons : parce qu’il avait son génie dans son âme et que son âme était son génie. Héroïque et poétique à la fois, on aurait dit qu’il ignorait son