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autres poètes du temps, tous poètes plus ou moins littéraires : Sainte-Beuve, Théophile Gautier, de Musset, de Vigny, Emile Deschamps, reconnaissaient sa royauté, bien plus littéraire que géniale. Mais dans ce mouvement furieux et universel de littérature, Lamartine, en plein génie, s’isola dans son génie même. Quoique Victor Hugo, le grand recruteur qui faisait la presse de la littérature, eût voulu le faire monter sur le char qu’il avait emprunté à Homère et lui donnât à tenir la lance :

Toi la lance et moi les coursiers !

Lamartine ne monta jamais, ou plutôt ne descendit jamais sur ce char-là, et ne prit point la lance qu’on lui offrait, pour le tenter, comme on eût fait à un héros d’Homère. Il ne fut jamais le lancier d’Hugo. Il resta loin de la mêlée, indifférent à la mêlée et à la guerre qu’on faisait dans ce temps pour le compte de la littérature, pleurant, à ce moment, Elvire, comme Achille pleurait Briséis. Il resta, alors comme depuis, ce qu’il y a selon moi au monde de plus beau et de plus rare et ce qu’on n’avait jamais vu, du moins au même degré : — un grand poète sans littérature !