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Harmonies. Sur elles seules, sur les Harmonies seules, quand il n’eût pas fait d’autres œuvres, on pourrait le juger sans qu’il perdit rien de sa toute-puissance poétique, montrée pourtant avec tant de profusion et de munificence ailleurs. Et cette toute-puissance, qui n’a pas d’égale, était en lui chose si mystérieusement et si spontanément naturelle qu’il est impossible de l’expliquer, et que lui-même, comme les autres poètes, plus artistes que lui par la volonté et le travail, il ne pensa jamais, par un travail quelconque, à y ajouter.

C’est un poète en dehors de toutes les littératures, et c’est sa gloire, c’est sa gloire spéciale de n’être pas littéraire. Virgile, à qui il est fatal de le comparer, était, malgré le peu qu’on en sait, un poète littéraire. Il tirait des perles du vieux fumier d’Ennius. Lamartine ne tire les siennes que de lui-même. Virgile, en mourant, donna l’ordre infanticide et littéraire de brûler Y Enéide, — ce que jamais Lamartine n’aurait ordonné, dans la naïveté heureuse et irresponsable de son génie ! Il a vécu, à l’époque du monde la plus littéraire, comme le pêcheur sous sa cloche de cristal. Il allait toucher à son midi de talent en 1830, en ce fervent et bouillonnant 1830 qui entraînait tout, poussait tout à la rescousse de la littérature. Victor Hugo, qui croyait être à la fois le Mirabeau et le Bonaparte de cette révolution littéraire, ne divisait pas, mais organisait pour régner et il régnait déjà. Les