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lui-même, s’il les avait entendus ! Et ce n’est ni la durée dans le passé, ni la fascinante perspective de l’Histoire, qui grandit les hommes à mesure qu’elle les éloigne de nous, ni le coudoyement avec eux dans la même époque et dans la vie et qui les rapetisse en les mettant de plain-pied avec nous, qui doivent empêcher de juger deux poètes séparés par des siècles, et de dire, sans trembler devant la tradition, lequel est le plus grand des deux. Virgile est depuis deux mille ans sur son socle, couronné de laurier par la sculpture de tous les temps qui ont suivi le sien, et Lamartine n’est que d’hier, et moi, qui écris ce chapitre, je l’ai vu dans le prosaïsme de nos plates mœurs et de nos tristes costumes, avec le chapeau blanc de LouisPhilippe et des épiciers endimanchés sur sa noble tète… Rapprochement deplus d’influence qu’on ne croit sur l’imagination déconcertée et qui compare deux poètes immortels ! Seulement, la Critique, plus forte que l’Imagination, ne doit voir, elle, que l’essence même de la poésie qui est en eux. Assurément, celle de Lamartine a sur la poésie de Virgile la supériorité des choses infinies sur les choses finies, des choses divines sur les choses humaines. Il a chanté Dieu et un Dieu inconnu à Virgile, et, depuis Virgile, nul poète chrétien dans les nations chrétiennes ne l’a chanté avec de tels accents. Voilà le mérite absolu de Lamartine parmi les poètes. Le livre qui donne la mesure complète de son génie, ne vous y trompez pas ! ce sont ses