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pour y remonter… Ces Mémoires inédits et inachevés de Lamartine, et qu’il a peut-être laissés inachevés à dessein, l’Histoire devant se charger du reste, tromperont l’écho de nos petites têtes sonores auxquelles il faut toujours le bruit d’un grelot. Ils ne sont guères qu’un mince rayon tombé de la plume de Lamartine sur la source cachée d’où devait jaillir plus tard, dans son immensité d’éclat, la plus haute poésie qui ait traversé le xixe siècle. Certes ! on en voudrait ici retrouver les premières gouttes, mais c’est vainement qu’on les cherche dans la coupe étroite de ce petit livre, — grand comme le creux de la main… Elles n’y sont pas. Il n’y a pas ici un vers, un seul, de cette poésie qui va tout à l’heure déborder sur le monde comme le plus beau des quatre fleuves du Paradis terrestre, et qui nous l’a souvent apporté, le Paradis, dans les flots de son azur divin !… Il n’y a ici que le jeune homme d’avant le poète, le Prince des Ténèbres qu’il est encore avant d’être le Prince de la Lumière, qu’il doit devenir :

Je suis celui qu’on aime et qu’on ne connaît pas !

Dans ces Mémoires de Lamartine, il n’y a que le jeune homme vêtu de noir d’Alfred de Musset ; le mystérieux rêveur, qui porte son rêve, comme un verre plein, sans le répandre ; enfin, le jeune homme inconnu qui n’a que sa jeunesse :

Mais qui sera Virgile un jour !