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culbuta dans le Fidèle Berger de la rue des Lombards. Cela pouvait bien n’être qu’une fantaisie infortunée. Par respect pour les égarements d’un talent immense, je me tus sur ces incroyables Odelettes, quoiqu’elles m’inquiétassent pour l’avenir du poète ; car si je conçois jusqu’à un certain point qu’Hercule, imbécillisé par l’amour, file aux genoux d’Omphale, je ne le conçois plus si, en filant, il ne casse pas tousses fuseaux. Or, Auguste Barbier ne cassait rien du tout. Sa plume de fer brûlant ne déchirait ni n’incendiait son papierrose.

Lui, le Juvénal de 1830, il semblait avoir été créé et mis au monde de toute éternité pour pondre ces versiculets fadasses que les confiseurs paient un louis le mille à leurs faiseurs et qu’ils roulent autour de leurs bonbons… et c’était cela qui était effrayant ! C’était cela qui empêchait de croire que l’auteur des Jambes et du Pianto, englué dans le miel de la bonbonnerie et dans les douceurs de l’Almanach des Muses, pût s’arracher de là et redevenir lui-même. Hélas ! il ne l’est pas redevenu. Le recueil de poésies qui vint après celui-là, plus considérable et plus grave que les Odelettes, montre que, dès les Odelettes, le poète inspiré n’était plus. Au moins, Milon le Crotoniate, pris par les poignets dans son chêne fendu et refermé, mourut mangé par les loups, — des gueules dignes de lui ! — mais par quelles odieuses petites bêtes le Crotoniate de la poésie lyrique et satirique du xix « siècle aura-l-il été dévoré !…