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Heine est certainement le plus grand poète que l’Europe ait vu depuis la mort de lord Byron, Lamartine excepté, et à sa gloire acquise, consentie, s’ajoute encore cette autre gloire de n’avoir pas pour le moment de successeur. A dater de Heine, de cet Allemand presque Français tant il s’était naturalisé parmi nous, la France n’a vécu que sur les vieux poètes qui existaient de son temps à lui et que la personnalité de son génie, à lui, effaçait, même de Musset, qui faisait songer à lord Byron, que Henri Heine ne rappelait pas. L’Allemagne n’a présentement personne qui puisse faire oublier son dernier enfant, et ce n’est, certes ! pas, en Angleterre, le mol Tennyson, le lauréat de la reine, le poète des élégances et des convenances anglaises, tout camélia blanc et rose thé, très digne d’écrire, comme un chinois, ses vers sur de la soie ou de la porcelaine, qui pourrait remplacer dans les imaginations le fantaisiste passionné d’Alta Troll, de la Mer du Nord, des Romanceros, du Livre de Lazare, le plus tendre, le plus rêveur, le plus blessé, le plus rieur des hommes, malgré ses blessures, et qui, comme les Douglas d’Ecosse, mériterait de porter ce beau surnom : Au Cœur sanglant. ! Tel est Henri Heine, dans sa gloire immuable. Tel est l’homme que la postérité verra plus dans ses œuvres que dans toutes les correspondances indiscrètes qu’un intérêt quelconque, fût-il fondé, dans un temps où l’on veut tout savoir, publiera désormais après lui. Il peut avoir des torts, cet homme !