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qui, justement, font l’effet de sorbets exquis servis dans le dé de cristal des fées, et qui ont tous cette goutte d’ironie qui relève toutes les saveurs, hélas ! en les rendant mortelles, — jusqu’à ses autres poèmes d’une concentration moins profonde et jusque dans les pages les plus sérieuses de ses ouvrages en prose, Henri Heine a toujours mêlé à tout ce qu’il a écrit une ironie… est-ce divine ou diabolique qu’il faut dire ? car elle nous fait volupté et douleur ; autant de bien que de mal en même temps. Et c’est si fort et si habituel dans Henri Heine, que si, comme M. Taine, par exemple, j’avais la manie d’expliquer les esprits par une qualité première, j’expliquerais tout Henri Heine par celle-là. Seulement, qu’on se rassure ! Pour ma part, je n’ai jamais cru à ces facultés ogresses qui mangent toutes les autres, et ma notion de la Critique est un^peu plus complexe que celle d’un faiseur de paquets qui emballe et ficelle toutes les facultés d’un homme dans une seule, sur laquelle il campe une étiquette : « Imagination ! paquet Shakespeare I Enlevez et roulez ! » C’est par trop conducteur de diligence, cela ! Henri Heine n’est pas plus une seulefaculté que Shakespeare. Il est varié, ondoyant, contrasté, ayant dans sa tête une hiérarchie de facultés qui s’accompagnent, se tiennent, fondent leurs nuances comme l’arc-en-ciel, et non pas une grande faculté solitaire qui se dresse, pyramide isolée, dans le désert de son cerveau.