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pas, à force d’antithèses, de devenir l’antithèse de soi-même, et d’épique qu’on est de nature, de soldat et de prêtre qu’on est par la tournure de son esprit, de se faire bucolique, un pleutre pleurard d’humanitaire ! Le moment était venu de jouer sa dernière carte pour Hugo et de gagner la partie. Victor Hugo voulait-il, oui ou non, atteindre à sa gloire définitive et donner à sa patrie non plus des ouvrages, mais un monument, et, ce qui eut été digne de lui, le monument jusqu’alors impossible ?… L’auteur desPetites Epopées, — ces préludes magnifiques d’un concert plus magnifique que j’espérais, — le poète de la Légende des Siècles, qui nous a peint si bien Charlemagne et Roland, pouvait mieux que personne mettre debout ces figures colossales et faire tourner alentour le cycle Carlovingien. Il aimait le colossal, en voilà ! Fait pour chanter la guerre, l’héroïsme, la foi, toutes les forces, que ne nous donna-t-il cette joie de le voir rentrer dans la vérité de son génie ! Ah ! il faut aimer le génie jusqu’aux larmes. Priam demandait à genoux le corps d’Hector à Achille et pleurait sur ses mains sanglantes… Hugo était tout à la fois Hector et Achille, et nous lui demandions de donner les restes de son génie, qu’il tuait, à la poésie du poème épique qui pouvait seule le ressusciter !