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un élément qu’il a créé. Il y a, dans cet incroyable recueil de quatre mille vers, de la même mesure à l’exception d’un très petit nombre de morceaux, beaucoup de pièces où le virtuose n’a eu besoin que de poser légèrement son archet sur les cordes de son violon pour que les cordes, impalpablement touchées, aient chanté. Une entre autres : Ce qu’on dit à Jeanne toute seule, et qui commence par ces mots :

Je ne me mets pas en peine

Du clocher ni du beffroi,

est d’un tel charme et d’un tel moelleux dans la manière dont les strophes tombent les unes sur les autres, qu’une seule bouche au monde était digne de dire tout haut de pareils vers et qu’on ne les entendra jamais dits comme ils sont écrits, car cette bouche est glacée. C’était celle de mademoiselle Mars.

Cet art inouï du vers, si consommé qu’il est indépendantdece qu’il exprime, ne peut guères être senti, du reste, que par les poètes, par ceux qui sont du bâtiment, comme dit l’excellente expression populaire. Mais pour ceux-là, c’est vraiment un plaisir divin ! Quand le rythme est manié avec ce génie, il donne l’inexprimable et rêveuse sensation que donne, en peinture, l’arabesque exécutée par un génie égal. Victor Hugo est le génie de l’arabesque poétique. Il fait de son vers ce qui lui plaît. Arlequin faisait de son chapeau un bateau, un stylet, une lampe ; Hugo fait bien