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à trois ou quatre places au plus, le vin est vanté pour les raisons les plus mélancoliques qui puissent nous faire vanter le vin ! … Allez ! M. Auguste de Châtillon, que je vous présente, n’est, Dieu merci ! d’aucune façon, un rabelaisien, un homme de franche lippée, un de ces rouleurs de futailles à qui les futailles le rendent bien ! Il n’est, ni naturellement, ni archaïquement, d’esprit gaulois. Malgré quelques détails de brocs d’étain sur des buffets bruns qu’on rencontre ça et là dans les encoignures de ses œuvres, il n’est pas et ne veut pas être à Olivier Basselin ce qu’André Chénier est à Simonide. Ce n’est pas plus l’ivrogne du bon vieux temps que l’ivrogne, pâle et convulsif, de ce temps-ci, le froid buveur de feu moderne, comme Edgar Poë, qui sombre dans l’ivresse pour fuir la vie, et comme Hégésippe Moreau, qui y trouve la mort. Il est d’une autre race de buveurs et de poètes, lui. Il n’est ni si gai ni si sauvage ! C’est un buveur doux, et triste, et rassis. Tout au plus ferait-il partie du club des Siroteurs, si nous étions en Angleterre. Il est parent de celui-là qui disait, mélancolique avec lui-même : « Quand une pensée ne vient pas, un coup de bon vin la fait venir, et quand elle est venue, un coup de bon vin la récompense ! » Évidemment, chez ce M. de Châtillon, beaucoup de pensées, — celles-là que le cœur garderait, — sont venues sous l’action de ce vin, quoique, hélas ! trempées d’autre chose… et pour la peine d’être venues, le coup de vin qui récompense a peut-être souvent manqué… Eh bien ! qu’il y ait enfin une justice ! Je veux aujourd’hui le lui verser, ce coup de vin mérité, cordial et sincère. Je veux fortifier et réchauffer cette