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à cette-rime exacte qui est son bourreau mystérieux !

… Le canon tout à coup frappe l’air :

Nos soldats, à ce bruit, debout, prêts à combattre,

Du triomphe prochain purent voir le théâtre !

……………………………………………..

Maurice y gambadait (au bal), joyeux comme un grelot,

Venant y rencontrer Joseph le matelot :

Ami, lui dit Armand, tu conviendras, j’espère,

Qu’on passe à la campagne un temps assez prospère,

N’est-on pas mieux ici que sur le pont mouvant,

En pleine mer, battu des vagues et du vent ?

Ce style inouï, M. Joseph Autran ne l’a pas mis seulement au service de ses propres inventions. L’héroïque défense de Milianah, un épisode de notre guerre d’Afrique, comme il l’appelle, avait, il y a bien des années, tenté la jeune verve de M. Autran, Et c’est ce poëme qui a des prétentions de récit épique, malgré l’étroitesse de son cadre et sa brièveté, que M. Autran, qui se croit mûri, a repris, recrépi et dernièrement republié. Malheureusement, les vers de M. Autran, qui ressemblent à des vers écrits pour un concours académique, ne peuvent lutter contre le récit du commandant de Milianah, le colonel d’Illens, contre cette page magnifique de simplicité et de tristesse que tout le monde a lue dans le livre de La Guerre et l’Homme de guerre, par M. Louis Veuillot, l’un des grands écrivains de ce temps-ci. Non, certes, que la poésie ne pût ajouter à la beauté du fait qu’elle raconte et élever une réalité si sublime à quelque chose de plus beau encore que la mâle simplicité du récit : ce serait nier la poésie et l’art du poète