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de l’étude. Elle a peut-être très-bien dormi, mais elle est alors naturellement fatiguée. On dirait qu’elle s’efforce, sue d’ahan, porte des fardeaux. Poésie gênée, mortifiée, qui fait souffrir plus encore qu’elle ne gouffre. Elle n’enlève pas légèrement sur son front limpide tout un monde d’idées ou de sentiments comme les cariatides de Goujon enlèvent leurs corbeilles. Elle est une cariatide froncée, écrasée, et bien ennuyée de porter son lourd entablement, et le pis de tout cela, c’est qu’on est de son avis et qu’on partage sa sensation, à cette cariatide !

Il est difficile, en effet, de donner a distance une idée très-exacte de cette poésie consciencieuse et bien intentionnée, mais qui n’a guère pour elle que son intention et sa conscience. M. Joseph Autran est la meilleure réponse vivante à la théorie dont M. Théophile Gautier insulte lui-même son grand talent par coquetterie, à savoir : qu’avec de certains procédés, on peut créer des poètes, comme Vaucanson fabriquait des joueurs de flûte et des canards. M. Autran ferait bien de passer chez M. Théophile Gautier. Il attend toujours son Vaucanson ; mais, en attendant, il n’est pas inerte. Il souffle dur ! Jamais Borée ne s’est enflé les joues de plus ronde et plus sanguine façon, fût-ce pour enlever Orythie à la jupe bouffante ! Ce qui devrait suivre un pareil souffle, ce n’est pas seulement le son mélodieusement voilé de la flûte, c’est le cri du clairon, tubœ clangor ! Mais rien ne sort. L’instrument étouffe. Le poète de Laboureurs et Soldats a dans ses vers quelque chose de noué, d’obtus, de sourd ; il cheville. Or, si vous ôtez le vers à M. Autran, si vous contestez le bon aloi de