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l’abolir, même quand il le transfigure. Il en est de même de la manière des poètes. Qu’ils la reprennent en sous-œuvre, qu’ils la modifient à force de réflexion et d’études et qu’ils mettent à cela les années et l’acharnement du travail, — du travail auquel, hélas ! on croit tout possible aujourd’hui ! — et ce sera en vain ! Il y aura toujours dans la manière comme dans le visage quelque chose qui résistera à tous les efforts. La poésie, comme la beauté, est de création supérieure à l’homme. Il les reçoit, et il y ajoute ou y retranche, mais il ne peut les conquérir.

II

Si cela était possible, du reste, si cette manière qui est le visage de notre pensée et qui nous a été donnée comme notre autre visage pouvait être changée au gré du poète et du penseur, M. Autran serait, nous le croyons, un des. hommes les mieux faits pour opérer sur lui-même cette transformation. M. Autran est en poésie ce qu’on peut appeler un rude travailleur, et, s’il ne l’est pas, si, en fait, nous nous trompons, il en a l’air, et c’est la même chose, Rappelez-vous un mot terrible ! « Je n’ai que trente-cinq ans et pas un cheveu blanc », disait un homme amoureux à une femme trop aimée. « Vous avez l’air d’en avoir », lui répondit-elle. Eh bien ! la poésie de M. Autran a cet air de cheveux blancs, et ils lui. semblent venus dans la peine du labeur et des veilles