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la hanche bleuit sous la baleine, mais qui se console avec l’adage : il faut souffrir pour être belle !

La bouche seule me plaît dans tout cela, car, je l’ai dit, elle est amère. Puisqu’elle est amère, elle est inassouvie ! Il y a encore de l’espérance ! M Joséphin Soulary a peut-être l’esprit plus grand que ses Sonnets, et son humour, à ce bizarre, ce vin noir comme le sang d’un cœur triste, finira peut-être par devenir fougueuse à force d’être comprimée, et passera par-dessus le bord, rose et or, du verre de Bohême aux pans régulièrement taillés, dans lequel il la sert avarement aux lèvres qui l’aiment et qui en voudraient beaucoup plus !

Eh bien ! nous sommes de ceux-là, nous. Nous aimons mieux le vin que le verre, et nous trouvons le verre étroit. Il est éblouissant, il flambe, il étincelle, mais nous aimons mieux la liqueur sombre et tranquille, et quoiqu’elle fasse bien par sa sombreur même, dans ce transparent cristal irisé, dans cette coupe d’arc-en-ciel où le poète l’a emprisonnée, nous aimerions mieux la voir jaillir et se répandre dans une forme plus vaste et moins subtilement travaillée ! Ah ! le plus beau de tout, c’est la grandeur dans l’être, c’est l’étendue dans la forme puissante, c’est l’ampleur dans le geste humain ! Que les faiseurs de sonnets et les tailleurs de petits cristaux ou de petits cailloux le sachent bien ! Ils ne viennent jamais que les seconds ou que les troisièmes. Qu’est Benvenuto en comparaison de Michel-Ange ! Combien les plus beaux poèmes épiques ont-ils de chants ?

Faire grand dans la pensée et faire grand dans l’espace du même coup — car la langue, c’est l’espace,