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les Anciens l’ont conçu et réalisé toujours, et Shakespeare quelquefois après eux. Nous n’oublierons pas de si tôt cette âpre et pure sensation, et nous voudrions la faire partager : mais le talent de M. Mistral tient un tel espace, il a besoin d’un tel champ pour se déployer dans sa magnificence ou dans son charme, un peu farouches tous les deux ; ses bas-reliefs fourmillent de tels détails, que de tous les poètes, difficiles à citer dans un chapitre de la nature de celui-ci, il est peut-être le plus difficile. Il faut le lire et le lire tout entier pour en avoir une idée, impossible à donner, par des citations isolées, qui ne seraient jamais que des démembrements de sa pensée ou de sa forme. Un chant ou deux, — et par exemple le plus beau de tous, Le Combat, — ne suffiraient point pour avoir la mesure de cette main puissante, sur les octaves de son clavier !

Que si, du reste, au lieu d’être en vers provençaux, le poème de Mirèio était en langue française, la grandeur dont il brille empêcherait peut-être sa fortune, mais il aurait du moins une chance de réussite dont actuellement il est privé. Les Lettrés, en effet, affirment qu’il faut de rigueur une langue à un poète, et, disent-ils, le provençal n’en est pas une, malgré les prétentions historiques de ceux qui le parlent ou l’écrivent. Ce n’est rien de plus qu’un patois. M. Frédéric Mistral, qui n’entend nullement être un patoisant, et dont le génie d’expression était assez fier cependant pour avoir l’insouciance d’une question pareille, bête comme une personnalité, M. Frédéric Mistral a répondu au nom du provençal, dans ces malheureuses notes qui m’ont un peu dépoétisé sa