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III

Et où est-elle donc ? Je m’en vais vous le dire. Où est-elle, cette Muse inouïe, cette poésie faite avec des laideurs vraies, et parce qu’elles sont vraies, sensibles et douloureuses, ces laideurs, arrivant à un effet d’impression sur les âmes, égal à celui de la plus idéale beauté ? … Eh bien, elle est dans toutes les pièces qu’il fallait laisser seules pour que ce volume eût toute sa concentration et la profondeur navrante de son charme ; elle est dans une trentaine de véritables chefs-d’œuvre d’étrangeté, mais d’étrangeté sincère, cette poésie malade de l’isolement, du découragement, de réchignement, de la méfiance, de l’empoisonnement par la méfiance de tous les sentiments de la vie !

Ainsi elle est dans ces Rayons jaunes dont la Critique française, toujours française, s’est moquée presque autant que de la Ballade à la lune d’Alfred de Musset, et avec un sens poétique qui aurait indigné les poètes anglais, ces premiers poètes du monde ! Les Rayons jaunes, admirable merveille d’optique d’âme dans le spleen, qui étend sur tout la couleur de sa rêverie ! Elle est dans Le Soir de la jeunesse, qui est la méfiance de l’amour ; dans La Contredanse, ce dialogue de la tristesse au sein du plaisir ; dans la Promenade, qui est la caractérisation la plus vive et la plus pénétrante de la manière de ce poète pathologique, que M. Guizot