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et qui même en a élucubré un, ses Bretons, fut dans des choses comme ses Goëlands, Goëlands, ramenez-nous nos amants ! ou Le Bon Jésus allait sur l’eau, qui expriment plus de Bretagne, à elles seules, qu’il n’y en a dans beaucoup de ses descriptions où il s’est efforcé d’en mettre. Mais voulez-vous la Bretagne elle-même, tout entière, vivante ? Rappelez-vous les marais salins du Croisic évoqués par Balzac dans un de ses romans, et la terrible histoire de Cambremer ; puis à côté de cette image naïve du Bon Jésus qui va sur l’eau, mettez encore Jésus-Christ en Flandre et demandez-vous si cette toute-puissante main-là, qui n’écrit cependant qu’en prose, ne casse pas toutes les amusettes du petit pâtre, dans Brizeux ! Demandez-vous où est le génie, et le génie du poète encore ? …

Le génie du poète, c’est de faire vivre l’imagination dans son rêve comme dans la réalité même, et plus, car c’est une réalité supérieure. Il y a dans le Ranz des vaches, cette poésie d’un poète que je ne connais pas, plus de patrie que dans la patrie, puisqu’on se tue de désespoir de ne pouvoir y retourner. Eh bien ! c’est cet air-là que Brizeux ne joue jamais sur sa cornemuse de Breton. Les fils de ceux qui burent leur sang au combat des Trente ont assez de cœur pourtant pour ressentir ces fières nostalgies, si les vers de Brizeux étaient capables de les donner ; mais la Bretagne peut être tranquille sur le compte de ses enfants. Après avoir lu les vers de celui qu’elle a nommé un peu trop généreusement son poète, aucun d’eux, fût-il exilé, ne se brûlera la cervelle !