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cidre, comme Brizeux. Or, dans mon pays, tout à côté du sien, quand le cidre, notre hydromel de paysans, a été coupé avec de l’eau et qu’il n’a plus sa franchise et sa vaillance première ; quand son ambre pâli ne pétille plus, on ne l’appelle pas encore « du petit baire », ce dernier des noms et cette dernière des nuances, mais on dit : « c’est du mitoyen. » Eh bien ! c’est du cidre breton, mais du mitoyen, que je trouve dans le verre de Brizeux. Il a été coupé avec de l’eau de Seine, — et précisément avec celle-là qui passe sous le pont des Arts — et bien en face de l’Institut !

Je l’ai dit plus haut. Mais ce qu’on croit la vérité ne change pas, et c’est pour cela qu’il ne faut pas craindre de la répéter. Brizeux, que les gens de Paris ont cru exclusivement Breton, parce qu’ils ne l’étaient pas, et que les Bretons ont aimé, parce qu’il n’était pas devenu tout à fait Parisien à Paris, Brizeux, qui avait le bonheur d’avoir une langue complète et magnifique, dans laquelle il eût pu être Breton tout à son aise et chanter la Bretagne, et qui a mieux aimé nous la dire, la Bretagne, en vers français, n’était pas, selon moi, assez profondément de son pays ; je ne dis pas de cœur, mais de génie. Il y a bien quelque chose de lui en kimri, — deux ou trois notes de galoubet, mais enfin dans la plupart de ses poésies il a fui son idiome natal, comme il a quitté son pays.

Quitter son pays ! Moi je crois qu’on l’emporte ! Le fameux mot de Danton est une bêtise… et une grossièreté * ! Mais si je me trompe, si réellement on

  • « On n’emporte pas sa patrie à la semelle de ses souliers. » Quel cordonnier que ce Danton ! Il s’agit bien de souliers ! Il s’agit de cœur !