Page:Barbey d’Aurevilly - Les Philosophes et les Écrivains religieux, 1860.djvu/469

Cette page n’a pas encore été corrigée

a d’autres, — il est des mystiques d’un ordre bien plus translucide, bien plus embrasé, bien plus enlevant que l’auteur de l’Imitation, quel qu’il ait été… On dit même, chose étrange et assez ignorée ! que son mysticisme ne parut pas toujours sûr à Rome ; un jour on l’y a signalé comme inclinant vers l’erreur qui s’est appelée Jansénius — sur cette terrible question de la nature et de la grâce. Mais le succès couvrit tout de son bruit, et il n’est pas jusqu’au nom du chancelier Gerson, sur le compte duquel on mit ce livre d’ascétisme doux, qui ne dut lui être une fière réclame, comme nous disons maintenant, après le deuxième Concile de Constance. C’est à lui encore aujourd’hui, à Jean Gerson, dont ils ont fait un grand portrait, trop flatté, dans leur introduction, que MM. Ch. d’Héricault et Morand attribuent l’honneur de ce livre, malgré les germanismes qui révèlent évidemment une autre main.

Du reste, ce nom même était inutile. Rigoureusement parlant, le ton seul du livre suffisait pour expliquer son succès, car le monde est pour les livres ce qu’il est pour les hommes. Il ressemble à l’ombre du poëte persan : fuyez-le, il vous suit ; suivez-le, il vous fuit. Et voilà pourquoi surtout le monde s’est précipité, sans l’atteindre, vers cette ombre vague de moine blanc, masqué jusqu’aux yeux de son capuchon, et qui fuit tout là-bas, dans les entre-colonnements d’on ne sait plus quel monastère ! L’ombre blanche est restée pour jamais une ombre fuyante. Quelles que soient les raisons d’affirmer la personnalité de l’auteur de l’Imitation, elles ne sont pas telles cependant qu’on puisse les admettre en toute certitude,