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être pour cela un obélisque (car un obélisque, c’est un colosse !) Buffon, qui pourrait bien, si on y regarde, n’avoir pas d’esprit du tout, est pourtant fort au-dessus de ces deux hommes, bien plus vantés que lui, et par la seule raison qu’ils ont plus troublé la moralité de leur siècle. Évidemment il les domina par la faculté la plus élevée d’entre les facultés humaines, quel que soit l’objet auquel on l’applique, — par cette faculté de l’ordre que Voltaire n’eut jamais qu’avec ses domestiques et ses libraires, et que Montesquieu aurait pu avoir, sans cet amour mesquin de l’épigramme qui l’a tant rapetissé !

Buffon, en effet, est l’ordre même, l’ordre concerté, enchaîné, lumineux ! C’est là le caractère le plus visible de son génie. Investi de la double aptitude de la science et de l’art d’écrire, le plus savant de tous les arts, Buffon est, au moins, toujours l’ordre, s’il n’est pas toujours la vérité ! Grand talent descriptif, qui sait encore mieux distribuer et encadrer ses tableaux que les peindre, il a précisément, comme peintre, le défaut de sa qualité souveraine : il pèche par l’ardeur ; il est froid….. comme l’exactitude et comme la majesté. Né en 1707, sous Louis XIV, le Roi réglé et éclatant comme le soleil, qu’il avait pris pour son symbole, Buffon devait garder sur tout lui-même un impérissable reflet de ce grand règne, qui expira sur son berceau, et montrer ce reste de grandeur par la règle, comme pour faire leçon en sa personne à la société déréglée au sein de laquelle il ne vécut pas.

Le croirait-on de loin ?…

Buffon, l’homme aux manchettes, qu’il mettait pour lui seul, est presque un solitaire dans son siècle. Un