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par la rigueur du retranchement, rétablit l’égalité des proportions ! Révolutionnaire, quoiqu’il dise pour s’en défendre, l’auteur de la Nature des Sociétés humaines a écrit « que les révolutions sont les suprêmes efforts du genre humain pour découvrir les vraies conditions de sa vie, pour les définir exactement et s’y soumettre » ; ce qui revient positivement à dire que toutes les ivrogneries de la colère doivent servir à clarifier la vue ; singulier collyre, il faut en convenir ! Enfin, comme tous les utopistes de ce temps et de tous les temps, qui ont renversé le grand aperçu chrétien, M. l’abbé Mitraud semble prendre la société pour un état définitif, au lieu de la concevoir comme un état de passage, et alors la question devient pour lui ce qu’elle fut, par exemple, pour Fourier, Saint-Simon et tant d’autres réformateurs, c’est-à-dire — qu’elle consiste à trouver des institutions qui établissent le ciel sur la terre, — ce qu’on cherchera probablement longtemps encore, — au lieu de faire monter la terre dans le ciel, comme la Religion nous l’enseigne, et, dans son affranchissement des âmes, sait l’exécuter tous les jours !

Telles sont les idées qui circulent, à l’état plus ou moins confus, dans le livre de M. Mitraud, et qui créent une parenté d’erreur profonde entre son ouvrage et tant d’autres écrits fades et dangereux. Le danger des livres est relatif. Il tient autant à ceux qui les lisent qu’à ceux qui les composent. Les peuples vigoureux et purs ont des livres sévères comme de fermes législations. Mais quand ils s’énervent, l’utopie de leurs penseurs s’énerve aussi et tombe au niveau de la moralité générale. C’est ce qui est arrivé à