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(pour dire une vie heureuse et quoiqu’on ne mette guère maintenant de miel dans les coupes), des anneaux rattachés de la chaîne brisée, du faîte de la richesse, du règne de la vérité qui s’annonce à l’horizon ! (l’horizon, cette place du ciel dont raffolent les bourgeois et où ils voient tout, même des règnes !), du volcan, de l’éternel volcan qui vomit par ses mille cratères de la lave et de la fange, et enfin du bouclier (en parlant à une femme qui n’est pas Clorinde, pour dire le sentiment qui défend son cœur !). » Eh bien ! y a-t-il un seul de ces tropes décrépits et solennels qui franchement soit au-dessus de la portée d’un Prudhomme quelconque qui voudra dire les mêmes choses que Mme Sand, — et les colorier comme elle ? Je sais bien qu’elle a une mesure et une suite dans l’image que les Prudhommes fougueux n’ont pas toujours. Elle ne dira jamais, elle est incapable de dire : « Ce sabre est le plus beau jour de ma vie ! » ce mot babéliquement insensé, mais renversant d’inattendu ; mais en sera-t-elle moins Prudhomme pour cela ? Ce sera une Prudhomme moins hardie, plus littéraire, plus retenue que le violent papa de ce nom. Voilà tout ; mais elle est de la race. J’ai cité plus haut Mme Cottin, l’auteur de Malek-Adel, l’inspiratrice de tant de pendules d’épicier ; mais Mme Cottin parlerait-elle plus de « l’ange de la destinée », du volcan, de la chaîne brisée et du bouclier ? (Et encore elle aurait pour excuse les beaux cuirassiers de l’Empire. La cuirasse rappelle le bouclier !) Ah ! ici il ne s’agit plus que de l’écrivain ! Il ne s’agit plus d’invention, de combinaison et de caractère, il s’agit de la vie et de la couleur du style de Mme George Sand, si incroyablement vanté ! Eh bien ! la vie, la couleur de ce style, la voilà ! Je défie qu’on me montre dans Mme Sand une seule de ces grandes images qu’on n’a pas vues encore. Toutes les siennes sont des images tombées vingt fois de leurs béquilles, et qu’elle relève, et qu’elle appuie contre sa phrase, pour qu’elles tiennent encore un peu debout.