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dance, n’a pas la correction. Avez-vous demandé jamais à M. Théophile Gauthier, qui était un grammairien, ce qu’il pensait de la grammaire de Mme  Sand ? Mais le bourgeois est comme les anguilles, il ne hait pas la vase ; il est mieux là-dedans. Qu’est-ce que cela lui fait, des fautes de français ? De plus, avec cette abondance qui est une qualité après tout, même pour nous. Mme  Sand rappelle des manières qui nous ont plu dans nos jeunesses, et elle nous prend encore par les souvenirs. Elle rappelle Jean-Jacques. Elle a moins de véhémence et plus de contour de femme ; mais ce contour, qui ne manque pas de grâce, s’amollit souvent et s’avachit. C’est surtout dans ses paysages qu’elle rappelle le mieux Jean-Jacques, dans le flot duquel elle noie la couleur plus vive de Bernardin. Abondante et facile ! Ce sont aussi les qualités d’un autre écrivain de ce temps, la coqueluche aussi des bourgeois, qui aussi, comme Mme  Sand, a ses prétentions d’artiste. Cet écrivain, c’est M. Thiers. Comme on dit à cette heure « la gloire de Mme  Sand », on dit aussi « la gloire de M. Thiers. » Ce sont là des locutions consacrées. M. Thiers est, en effet, la seule personne du siècle à qui le succès ait été aussi facile qu’à Mme  Sand. À talents faciles, succès faciles ! C’est la loi, la loi éternelle ! Il n’était pas femme, il est vrai, M. Thiers ; mais il était petit…

Chateaubriand osa un jour (riait-il ?) l’appeler le plus grand homme de son époque. Qui, de l’homme ou de l’époque, voulait-il insulter ? Comme Mme  Sand, M. Thiers a pour lui les moyennes ; — le centre de l’opinion française, comme il a pour lui le centre de la Chambre, quand il y parle. Les rapports sautent aux yeux entre ces deux talents et ces deux gloires ; seulement ils n’auront pas la même destinée. M. Thiers, le foutriquet du maréchal Soult, a placé ses pattes de mouche historiques sous la garde du fier piédestal de Napoléon, au bas duquel il les a écrites… Quand Mme  Sand sera oubliée, on lira encore M. Thiers, parce qu’il a parlé de