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Et cette idée sur la spontanéité de son génie m’étonne moins, après tout, que l’idée qu’elle veut nous inculquer de la candeur de son âme. L’opinion a pensé toujours tout le contraire de ce que Mme Sand nous apprend sur sa pauvre petite âme, ignorante, involontaire, enfantine, et voilà pourquoi elle essaye aujourd’hui de l’éclairer, cette opinion, en se confessant ! Mais cette même opinion, abusée, l’a toujours crue (s’abuse-t-elle encore ?) de talent, une Déesse. Elle lui a tant et tant répété qu’elle avait du génie, que cette âme modeste a fini par le croire et même qu’elle avait le plus beau des génies, le génie qui n’a sa raison d’exister dans aucun effort de facultés, et n’est, comme Dieu, simplement que parce qu’il est. Mme Sand, pour qu’on ne puisse pas s’y tromper, comme on s’est trompé sur son âme, nous prévient qu’elle n’a que celui-là. Il est évident que si l’opinion, cette fois encore, n’admettait pas cette déclaration sur la beauté de son génie, faite par Mme George Sand elle-même, l’opinion serait inconséquente ; car c’est elle qui a fait de ses propres mains cet orgueil qui parle aujourd’hui. L’opinion n’a certainement jamais grisé personne comme elle a grisé Mme Sand. Je l’ai dit plus haut, son succès obtenu, soutenu et maintenu trente ans, est un vrai phénomène !

Dès son début, elle fit fusée, monta à une hauteur énorme, y éclata, s’y épanouit ! Pas une seule résistance, un seul obstacle, une seule chicane ! Page curieuse de l’histoire littéraire à écrire ! Elle tourna la tête à tout le monde, cette femme, qui entrait dans la littérature, Dieu sait par quelle brèche. Cette femme en redingote de velours noir comme un écolier allemand, qui fumait (c’était la première !), tout de suite eut l’opinion, parce qu’elle s’en moquait, l’opinion ayant toujours besoin dans ce pays-ci d’être battue pour être contente ! Elle fut très-contente. À chaque roman qui tombait de cette plume facile, c’étaient des applaudissements universels ! En ce temps-là, Balzac, lui, cette plume difficile, ce génie