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aux jours les plus durs, a répété ces mots ou l’équivalent de ces mots, flatteurs encore, quand son scepticisme les a dits : « Elle peut avoir de mauvaises opinions, mais il faut convenir qu’elle a diablement de talent, cette femme ! » Or, comme avoir diablement de talent est la grande affaire dans ce diable de pays qu’on appelle la France, Mme  George Sand a joui, sans conteste, d’une inaltérable félicité d’écrivain, et elle mourra pleine de jours, d’argent et de célébrité, sans qu’il y ait un seul pli de roses à sa couchette. Qu’a-t-elle donc à s’inquiéter aujourd’hui d’une opinion pour elle si indulgente ?… Et quant à la Postérité, elle qui demande des opinions à Sainte-Beuve, elle a au moins l’opinion de ce grand moraliste sur la Postérité, lorsqu’il disait en pleine Académie, que la morale de Mme  Sand serait, avant peu, toute la religion de l’avenir !

Le livre actuel de Mme  Sand est donc inexplicable. Il est la contradiction affirmée de tout ce qu’elle a écrit ; un démenti donné à la Critique — et autant à la Critique qui l’a grandie et exaltée, — et cette Critique, formidable par le nombre, pourrait s’appeler légion — qu’à la Critique qui l’a diminuée, — et cette autre Critique n’est guère composée que de deux ou trois voix isolées, lesquelles ont protesté bien plus au nom de la morale qu’au nom de la littérature, contre l’affolement universel, inspiré par l’auteur de Valentine et d’Indiana. Non-seulement donc, c’est une anxiété sans raison, une panique inouïe de la part d’un écrivain qui, quoique femme, passait pour avoir la virilité du courage, mais c’est aussi envers son temps et la Critique de son temps une ingratitude, plus injustifiable encore, qui lui a fait commettre ce dernier livre. Mme  Sand dit à tout le monde aujourd’hui : Vous êtes tous des imbéciles ! Vous vous êtes tous trompés sur moi. Vous avez tous cru — même vous, Monsieur Sainte-Beuve, qui voulez que mes opinions en morale soient la religion de l’avenir, — que j’étais un écrivain d’ordre philosophique, ayant des