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sances, Mme Émile de Girardin fut, intellectuellement, un être multiple. Il y eut en elle plusieurs personnes qui, toutes, — il faut bien le dire, — ne se valaient pas. D’autres que nous l’en glorifieront peut-être ; nous, nous nous en attristons pour elle. Mme de Girardin voulut être et elle fut réellement une des femmes de lettres les plus comptées de ce temps, qui croit aux femmes de lettres. Mais ce fut une de ses faiblesses que cette puissance-là !

Pour notre compte, nous en avons assez souffert. Nous avons assez regretté de voir la grimace de la prétention et de l’effort nous gâter la ligne d’un si pur camée. Elle, qui avait tous les dons de la femme, les éclatants et les exquis, s’est horriblement tourmentée pour accoucher de ces œuvres travaillées que les femmes de lettres prennent pour des preuves de leur équivoque virilité. Elle a écrit des tragédies, des comédies et des romans. Il y eut donc en elle un bas-bleu, pour lui donner son triste nom. Mais heureusement aussi il y eut, sinon pour l’effacer, au moins pour le faire oublier souvent, la femme d’esprit et la femme poëte. Il y eut l’être inspiré, naturel et charmant, qui met ses prétentions à ses pieds, — à ces pieds qui, fussent-ils laids, — et elle les avait beaux, — se transfigurent presque comme ceux des Saintes, quand on y met ses prétentions ! Et nous avons commencé par le poëte cette étude sur Mme de Girardin (voir le 3e volume des Œuvres et des Hommes, les poètes, 1re série). Nous avons commencé par le poëte, parce que le poëte c’était le fond de sa nature, qu’elle a faussée, mais qui a toujours protesté ; — parce qu’où le poëte existe il est toujours l’axe du talent quelconque, qui roule, en brillant, par-dessus ! Une fois le poëte ou l’âme poétique mis hors de question en Mme de Girardin, nous sommes plus libre pour juger ce qu’elle a introduit d’artificiel et de volontaire dans son être ému ou inspiré. Aujourd’hui, nous avons à mettre en regard avec le premier le second